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February 18, 2014

Les grandes espérances

One of the young doffers working in Pell City Cotton Mill, Alabama, 1910

C'est là le titre traduit d'un roman de Charles Dickens, en anglais Great Expectations. C'est un titre qui m'a toujours fascinée, bien que je n'aie jamais ouvert le livre. Il communique et évoque un sentiment puissant, celui de grands idéaux, de grands espoirs. Ainsi, l'on s'imagine une jeune âme qui s'ouvre au monde et à la vie, et nourrit les pensées les plus nobles et innocentes (dans le bon sens du terme) quant au futur et ce qu'il réserve, ce qu'il promet.

Il vient un temps où beaucoup de ces grandes espérances sont déçues. Je pense qu'à cet égard, le terme anglais expectation, mieux traduit par «attente» en français, exprime bien cette désillusion, ce désenchantement. À une époque plus naïve, plus délicate, nous avons développé des anticipations quant au futur. Alors que nous vieillissons, nous sommes forcés d'en venir au constat que le monde n'est pas tel qu'il devrait être. Nous rêvons d'une société qui ne sera jamais, d'une paix utopique, d'amour inatteignable.

Le Sisyphe de Titien, 1548
Plus que tout, nous souhaitons la self-actualization, l'accomplissement de soi, qui dans la pyramide des besoins de Maslow, correspond à cet état suprême d'épanouissement de développement de notre potentiel personnel. Il semble parfois que plus nous tentons d'avancer vers cet objectif, plus il s'éloigne de nous, tel un mirage, tel Sisyphe roulant éternellement son rocher le long de la colline sans jamais en atteindre le sommet.

Souvent quand je pense au monde qui tourne, au temps qui s'écoule et à la vie qui passe, je crois que nous courons parfois le risque d'investir toute notre énergie et tous nos efforts dans la poursuite du soleil couchant, sans jamais le pouvoir toucher.

Je ne dis pas qu'il faut renoncer à nos principes et à nos idéaux. Bien au contraire, je crois fermement qu'il faut vivre de façon intègre et conforme à ses propres valeurs et croyances.

Ce que je remets en doute, c'est combien nous nous attachons parfois à certains buts que nous nous fixons, qui une fois atteints, ne satisfont pas toujours. On rêve de voir l'Europe, puis après y être allé, on se désole de ne pas avoir vu le monde. On est obsédé à l'idée d'obtenir un diplôme universitaire, puis une fois obtenu, on se trouve bien malheureux de ne pas avoir un diplôme de deuxième cycle.

Il m'en faut toujours plus, c'est chronique. Peut-être en est-ce de même pour vous.

Et c'est pour cette raison que j'ai mis la photo du petit garçon travaillant dans une usine de coton, dans les années 1910. Quelles étaient ses grandes espérances à lui? Quelle aurait été sa vie parfaite? Avait-il même le temps d'y songer?

Je ne condamne personne. Il est légitime d'avoir des rêves et des aspirations, l'humain est ainsi fait, et c'est ce qui nous pousse à donner le meilleur de nous-même, à aller là où personne n'est allé auparavant.

Mais le bonheur et la réalisation de soi ne consiste peut-être pas à atteindre une destination qui s'éloigne à mesure que nous avançons.

Il faut de temps en temps jeter un regard en arrière, et être reconnaissant du chemin parcouru.
Là où nous sommes, nombreux sont ceux qui auraient voulu y être dans l'histoire de l'humanité.

Les grandes espérances de ce petit garçon, celles qui semblaient inatteignables, c'est peut-être nous qui les vivons aujourd'hui. N'est-ce pas en soi avoir réalisé beaucoup de rêves, beaucoup d'espoirs?



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